[1996] 1 R.C.S. | Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) | 369 |
c.
l'Association canadienne des travailleurs
de fonderie et ouvriers assimilés (CASAW),
section locale n
o
4
EN APPEL DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE
Les travailleurs syndiqués de Royal Oak Mines ont rejeté massivement une entente de principe proposée par l'appelante. Il en a résulté une grève de 18 mois, violente et acrimonieuse, qui a affecté la collectivité tout entière. Diverses tentatives pour régler le différend ont été faites durant la grève, de la nomination d'une commission d'enquête sur les relations du travail à la désignation de médiateurs de grande expérience. Par suite d'une demande du syndicat, le Conseil canadien des relations du travail a conclu à l'unanimité que l'appelante (l'employeur) n'avait pas négocié de bonne foi. L'employeur avait refusé de négocier tant que la question de l'accréditation n'était pas réglée. De plus, il souhaitait imposer une période probatoire pour tous les grévistes qui reprenaient le travail. Malgré la position de l'employeur sur ces questions, le Conseil a fondé sa conclusion sur le refus de l'employeur de négocier tant que n'aurait pas été réglée la question de la réintégration de plusieurs employés accusés d'actes de violence sur la ligne de piquetage et des mesures disciplinaires à leur encontre. Vu l'intransigeance et l'amertume des parties, le Conseil a ordonné à l'employeur d'offrir à nouveau l'entente de principe qu'il avait déjà proposée (et qui avait déjà été rejetée), sauf pour quatre points à propos desquels il avait modifié sa position. Il a donné aux parties un délai de 30 jours pour négocier un règlement sur ces quatre points. En cas d'impasse, la médiation exécutoire serait imposée. Il s'agit de décider si le Conseil avait compétence pour rendre cette ordonnance.
Arrêt (les juges Sopinka, McLachlin et Major sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.
Les juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory: Pour déterminer si la portée des ordonnances réparatrices ressortit au Conseil ou si la disposition vise la compétence du Conseil de sorte que sa décision donne lieu à révision par les tribunaux si elle n'est pas correcte, il faut tenir compte de divers facteurs: a) le libellé des dispositions législatives qui confèrent la compétence au tribunal administratif; b) l'objet de la loi qui crée le tribunal; c) la raison d'être de ce tribunal; d) le domaine d'expertise de ses membres; e) la nature du problème soumis au tribunal. Les cours de justice doivent faire preuve de retenue à l'égard des réparations ordonnées par le Conseil. Quand il a été établi que, d'après la loi habilitante, le Conseil est en fait compétent pour imposer certaines réparations, la question de la réparation que le Conseil choisit d'imposer dans une situation donnée relève de sa compétence.
Le législateur a conféré au Conseil un rôle large et flexible en matière de réparation. Le libellé du par. 99(2) du Code canadien du travail (le "Code") n'apporte pas de limitations précises à la compétence du Conseil et le fait qu'il est habilité à formuler des réparations justes indique que le législateur lui a confié des pouvoirs étendus en matière de réparation. De plus, une clause privative de large portée, au par. 22(1), dispose que les décisions et ordonnances du Conseil sont définitives.
La décision du Conseil relevait de sa compétence. Il ne faut pas la modifier, sauf si elle était manifestement déraisonnable. Plusieurs facteurs indiquent qu'il y a lieu d'appliquer la norme du caractère manifestement déraisonnable et non celle de la décision correcte, applicable à une question de compétence: a) la présence d'une clause privative claire et formelle; b) les dispositions du Code qui montrent que la décision relève clairement de la compétence du Conseil; c) la décision quant à l'absence de bonne foi (essentiellement une conclusion de fait qu'il appartient au Conseil de tirer); d) la compétence et l'expérience du Conseil pour statuer sur ce type précis de question; e) le haut degré de retenue dont les cours de justice ont fait preuve à l'égard des décisions des conseils de relations du travail.
L'appelante a manqué à son obligation de négocier de bonne foi sous trois aspects. Premièrement, elle a refusé de négocier avec le syndicat intimé, agent négociateur exclusif des employés, tant qu'il n'aurait pas été statué sur la demande d'accréditation de l'association d'employés concurrente. L'employeur est obligé de reconnaître le syndicat accrédité et de négocier uniquement avec lui. Deuxièmement, l'appelante a manqué à son obligation en exigeant une clause relative à une période probatoire pour tous les employés qui reprenaient le travail -- chercher à punir ceux qui ont participé à une activité syndicale légale mine l'application et les principes fondamentaux de la loi sur les relations du travail. Troisièmement, l'appelante a omis de négocier de bonne foi en refusant toute disposition prévoyant l'arbitrage ou le règlement des litiges découlant du congédiement de plusieurs employés. Ce refus catégorique de discuter de la question a provoqué un blocage complet des négociations.
L'obligation d'entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire un effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d'activités. La deuxième partie de l'obligation empêche une partie de se dérober en prétendant qu'elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu'objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d'activités qu'elles doivent être tenues pour déraisonnables.
Le Code attribuait au Conseil le pouvoir de décider si l'appelante n'avait pas négocié de bonne foi. Les cours de justice ne doivent pas annuler sa décision, sauf si elle est manifestement déraisonnable. Le Conseil était tout à fait fondé à dire que l'appelante avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi en imposant une condition déraisonnable comme préalable à la négociation collective. Sa décision n'était donc pas déraisonnable.
La réparation imposée par le Conseil n'était pas manifestement déraisonnable, mais au contraire était très judicieuse et convenait parfaitement aux données du cas. Une ordonnance réparatrice est tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code. En l'espèce, il y avait un lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation, et la réparation réaffirmait les objectifs du Code.
Le Conseil n'a pas excédé ses pouvoirs en mettant fin aux négociations péremptoirement au lieu de permettre aux parties de négocier elles-mêmes un règlement. En vertu du par. 99(2), il a le pouvoir de concevoir une réparation afin d'assurer la réalisation des objectifs du Code.
Les libres négociations collectives sont un principe fondamental du Code et des relations du travail. En règle générale, il faut laisser libre cours à ce processus. Néanmoins, il se produit des cas où l'on ne saurait permettre que ce principe soit prédominant. Un conseil peut légitimement user de son expérience et de ses compétences spécialisées pour concevoir une réparation si le conflit a été long et amer, les parties intransigeantes et leurs positions inflexibles, s'il constate que l'une des parties n'a pas négocié de bonne foi et que ce manquement a empêché la conclusion d'une convention collective, si la grève cause des torts à la collectivité. Cela vaut même si la réparation a pour effet de mettre fin aux libres négociations collectives. Ce résultat découle, en partie, de la mauvaise foi de l'une des parties qui entrave le processus de la négociation et, en partie, des autres principes et facteurs dont le Conseil doit tenir compte dans l'application du Code.
Vu les circonstances, il convenait que le Conseil formule une réparation. La grève a été longue et amère. La position inflexible de l'appelante, qui a refusé de considérer toute procédure équitable pour les employés congédiés, a bloqué toute négociation réelle entre les parties et a été jugée, à juste titre, être un manque de bonne foi. La collectivité souffrait manifestement. La réparation accordée n'imposait pas une convention collective. Le Conseil s'est plutôt inspiré, pour l'essentiel de sa réparation, de l'entente de principe rédigée et offerte par l'appelante à titre d'offre finale. Les parties devaient négocier sur les quatre points non réglés pendant 30 jours et, en cas d'échec, une médiation exécutoire devait être imposée à leur sujet. Une fois qu'une partie a violé les règles fondamentales énoncées dans la loi, les parties ne peuvent plus s'attendre à ce que la même liberté de négociation sans entrave leur soit reconnue. Vu l'intransigeance dont les parties ont fait preuve, aucune autre solution n'était possible. En effet, il était avantageux pour les deux parties et pour la collectivité que le Conseil se fonde sur son expérience et ses compétences pour formuler une réparation qui était éminemment juste et judicieuse.
Le Conseil n'a pas imposé aux parties l'entente de principe ou les conditions supplémentaires sans s'être d'abord assuré qu'elles avaient épuisé toutes les autres mesures susceptibles, d'un point de vue réaliste, de permettre de régler le conflit. Compte tenu du manque de coopération et du défaut de négocier de bonne foi de l'appelante, ainsi que des torts subis par la collectivité du fait du conflit de travail, le Conseil a légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire pour imposer une réparation qui dénouerait l'impasse.
L'ordonnance réparatrice avait un lien direct avec les effets de l'omission de négocier de bonne foi et, dans la mesure du possible, était conforme aux objectifs du Code. La réparation pondérait convenablement l'intérêt public et les intérêts des parties. Il n'y avait rien à redire à cette ordonnance qui relevait de la compétence du Conseil. Par conséquent, compte tenu du degré de retenue qui convient, l'ordonnance n'était pas manifestement déraisonnable et ne pouvait donc pas être annulée. S'il avait été nécessaire de statuer autrement, elle aurait satisfait à la norme de la décision correcte.
L'article 80 du Code, qui confère au Conseil le pouvoir d'imposer aux parties une première convention collective, s'applique à une situation tout à fait différente de celle visée au par. 99(2). Il n'est pas nécessaire d'interpréter restrictivement le par. 99(2) à cause des dispositions de l'art. 80.
Le juge en chef Lamer: La conclusion du Conseil que l'employeur a négocié de mauvaise foi au sens de l'al. 50a) du Code relevait de sa compétence spécialisée et n'était pas manifestement déraisonnable dans les circonstances. En outre, le choix de l'ordonnance réparatrice, obligeant l'employeur à présenter une offre assortie de certaines conditions imposées, relevait de la compétence spécialisée du Conseil, étant donné la latitude que lui donne le par. 99(2) pour rendre l'ordonnance qu'il estime juste. Vu l'amertume et l'intransigeance qui ont marqué ce conflit, l'ordonnance réparatrice positive conçue par le Conseil n'était pas manifestement déraisonnable. Toutefois, une ordonnance extraordinaire comme celle-ci, encore qu'elle soit justifiée dans les circonstances, va à l'encontre des codes du travail fédéral et provinciaux car elle déroge au principe des «libres négociations collectives» qui inspire les législations des relations du travail. En l'absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes comme celles en l'espèce, il sera manifestement déraisonnable normalement qu'un conseil des relations du travail impose une telle ordonnance réparatrice positive étant donné que les libres négociations collectives représentent une valeur fondamentale consacrée par le Code.
Les juges Sopinka, McLachlin et Major (dissidents): La question de savoir si une partie s'est rendue coupable de négociation de mauvaise foi est une question de fait qui relève de la compétence particulière du Conseil et il y a lieu de confirmer sa décision, sauf si elle est tenue pour manifestement déraisonnable. Les sous-alinéas 50a)(i) et (ii) du Code, si on les rapproche des art. 98 et 99, investissent de toute évidence le Conseil du pouvoir de décider si une partie a négocié de bonne foi et si une partie a fait «tout effort raisonnable pour conclure une convention collective». De plus, le Conseil est protégé par une clause privative claire et formelle, énoncée au par. 22(1). Sa décision sur ce point ne peut être annulée que si elle est manifestement déraisonnable.
Trois considérations, prises ensemble, indiquent qu'il n'y a pas lieu, selon la norme du caractère manifestement déraisonnable, de modifier la conclusion du Conseil quant à la négociation de mauvaise foi: (1) la position qualifiée de déraisonnable par le Conseil portait sur une question non pécuniaire; (2) l'appelante a maintenu sa position objectivement déraisonnable jusqu'à l'impasse; (3) cette constatation de mauvaise foi s'inscrit dans le contexte de la conclusion correcte du Conseil selon laquelle l'appelante était de mauvaise foi en faisant du règlement de la question une condition préalable à toute négociation.
La question de savoir si le Conseil est habilité à accorder une réparation en particulier est une question de compétence. Le paragraphe 99(2) est une disposition attributive de compétence et est la seule source du pouvoir du Conseil d'imposer des réparations autres que la simple ordonnance enjoignant à une partie de se conformer à la loi, qui est prévue au par. 99(1). Il autorise le Conseil à rendre les ordonnances qu'il estime «juste» de rendre pour remédier aux effets des violations du Code et lui confère la compétence pour rendre des ordonnances que, normalement, il ne serait pas habilité à rendre. Pour décider si l'ordonnance que le Conseil a rendue relève de la compétence que lui attribue le par. 99(2), il faut considérer l'effet réel de l'ordonnance. L'ordonnance non seulement oblige l'appelante à déposer une offre, mais énonce en détail nombre des conditions précises que l'offre doit contenir. Force est de conclure qu'en insérant dans son ordonnance des clauses qui n'avaient aucun rapport avec la «mauvaise foi» alléguée, le Conseil a imposé à l'employeur une convention collective complète.
Le libellé du par. 99(2) impose de toute évidence au moins deux limitations aux réparations qui peuvent être accordées en vertu de ce paragraphe: (1) il doit y avoir un lien rationnel entre la violation du Code, un effet qui est néfaste à la réalisation des objectifs du Code, et la réparation; (2) la réparation doit assurer la réalisation des objectifs du Code. Même si le «lien requis» entre la violation, les conséquences et la réparation se réduit à un «lien rationnel», le lien est absent dans la présente espèce. L'objet fondamental du Code est le règlement positif des différends de travail grâce «aux libres négociations collectives» entre les parties. Les autres objectifs importants énumérés dans le préambule ne doivent être réalisés que par l'encouragement des libres négociations collectives.
La violation qui a amené le Conseil à intervenir était la négociation de mauvaise foi reprochée à l'appelante au sujet des employés congédiés. Le Conseil n'a pas conclu qu'en négociant de mauvaise foi à l'égard de cette question, l'appelante avait empêché les parties de conclure une convention collective. Il a plutôt décidé que la conséquence des omissions par les deux parties de négocier de bonne foi tout au long des négociations avait été d'empêcher la conclusion d'une convention collective. Le fait qu'une convention collective n'a pu être conclue parce que, à plusieurs reprises durant de longues négociations, les deux parties ont omis de négocier de bonne foi ne saurait autoriser l'imposition d'une convention collective complète à l'une des parties qui se trouve à manquer, à ce moment-là, à son obligation de négocier de bonne foi à l'égard d'un seul point.
Le paragraphe 99(2) exige que les effets que le Conseil cherche à remédier soient néfastes à la réalisation des objectifs du Code. Le Conseil a décidé à tort que la non-conclusion d'une convention collective était néfaste à la réalisation des objectifs du Code. Les objectifs du Code sont l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends par les parties grâce au processus des négociations collectives. Les obligations que le Code fait aux parties sont de négocier de bonne foi et de «faire tout effort raisonnable». Les parties ne sont pas tenues de conclure une convention. Il est parfaitement compatible avec les objectifs du Code que les parties négocient jusqu'à l'impasse, pourvu qu'elles satisfassent à leur obligation de négocier de bonne foi.
La médiation et l'arbitrage exécutoires sont peut-être des mécanismes efficaces de règlement des différends, mais il revient aux parties de les choisir comme solution de rechange aux libres négociations collectives. Le Conseil n'a pas compétence pour imposer l'arbitrage exécutoire aux parties quand elles ont choisi de régler leurs différends par les libres négociations collectives. Non seulement l'ordonnance du Conseil n'a pas le lien requis avec la violation du Code, mais elle va à l'encontre des objectifs du Code.
Quand, au cours des libres négociations collectives, une partie a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, le Conseil a le devoir de faire en sorte que cette partie exécute son obligation. Il ne doit pas la priver de la possibilité de continuer à participer au processus des négociations. La conclusion selon laquelle il y a peu de chances que les parties en viennent jamais, sans aide, à une entente sur certains points litigieux n'autorise pas le Conseil à imposer une convention, même s'il s'appuie sur un médiateur indépendant pour imposer les conditions définitives de cette convention. Les parties à la libre négociation collective ont le droit de continuer de négocier jusqu'à l'impasse, sauf intervention du législateur.
Le Conseil avait le pouvoir d'imposer une réparation efficace, même s'il n'avait pas compétence pour mettre fin à ce conflit en dictant les conditions d'une nouvelle convention collective. Il pouvait obliger l'employeur (1) à déposer dans un certain délai une convention collective qu'il était disposé à respecter, et (2) à abandonner sa position déraisonnable au sujet des employés congédiés (ou même imposer une condition précise, destinée à régler ce seul point). Une telle solution aurait comporté le «lien» nécessaire et aurait été conforme à l'objectif fondamental du Code, qui est de permettre aux deux parties de procéder à des négociations collectives. Le Conseil aurait à nouveau le pouvoir d'intervenir, si une autre impasse résultait de nouveaux cas de «mauvaise foi».
Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts appliqués: U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; distinction d'avec l'arrêt: Syndicat canadien de la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle-Écosse), [1983] 2 R.C.S. 311; arrêts examinés: Rogers Cable T.V. (British Columbia) Ltd. (1987), 69 di 17; Eastern Provincial Airways Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail (1984), 65 N.R. 81, conf. en partie Eastern Provincial Airways Ltd. (1983), 54 di 172; Brewster Transport Co. (1986), 66 di 1; arrêts mentionnés: Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Iberia, Lignes aériennes d'Espagne (1990), 80 di 165; Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157; Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710; Conseil canadien des relations du travail c. Association des débardeurs d'Halifax, [1983] 1 R.C.S. 245; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Brewster Transport Co. (1986), 66 di 133; Re Tandy Electronics Ltd. and United Steelworkers of America (1980), 115 D.L.R. (3d) 197.
Citée par le juge Major (dissident)
Royal Oak Mines Inc. (1993), 92 di 153; Syndicat canadien de la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (Nouvelle-Écosse), [1983] 2 R.C.S. 311; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157; Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; British Columbia Telephone Co. (1977), 24 di 164; Re Tandy Electronics Ltd. and United Steelworkers of America (1980), 115 D.L.R. (3d) 197; Eastern Provincial Airways Ltd. (1983), 54 di 172; Brewster Transport Co. (1986), 66 di 1; Iberia, Lignes aériennes d'Espagne (1990), 80 di 165.
Lois et règlements cités
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, préambule, art. 22 [mod. 1990, ch. 8, art. 56], 25, 50, 80, 94(3)a)(vi), 97(1) [mod. 1991, ch. 39, art. 2], 98(1), 99 [mod. idem, art. 3], 108.
Doctrine citée
Adams, George W. «Labour Law Remedies». In Kenneth P. Swan and Katherine E. Swinton, eds., Studies in Labour Law. Toronto: Butterworths, 1983, 55.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale (1994), 167 N.R. 234, [1994] N.W.T.R. 179, qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Conseil canadien des relations du travail (1993), 93 di 21, 94 C.L.L.C. ¶16,026, accueillant la plainte du syndicat intimé. Pourvoi rejeté, les juges Sopinka, McLachlin et Major sont dissidents.
Edward C. Chiasson, c.r., et M. A. Coady, pour l'appelante.
Leo McGrady et Gina Fiorillo, pour l'intimée l'Association canadienne des travailleurs de fonderie et ouvriers assimilés, section locale no 4.
Chris G. Paliare, Andrew K. Lokan et Dominique Launay, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Version française des motifs rendus par
1 LE JUGE EN CHEF LAMER -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs réfléchis de mes deux collègues dans le présent pourvoi. Bien que je partage certaines des préoccupations que mon collègue le juge Major a exprimées au sujet de la nature radicale et interventionniste de la réparation choisie par le Conseil canadien des relations du travail dans la présente espèce, je souscris en dernière analyse aux motifs et aux conclusions du juge Cory. Plus précisément, je suis d'avis comme ce dernier que la conclusion du Conseil selon laquelle l'employeur a négocié de mauvaise foi au sens de l'al. 50a) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, relevait de sa compétence spécialisée et que cette conclusion n'était pas manifestement déraisonnable dans les circonstances. En outre, je partage son avis que le choix de l'ordonnance réparatrice en l'espèce, obligeant positivement l'employeur à présenter une offre assortie de certaines conditions imposées par le Conseil, relevait de la compétence spécialisée du tribunal du travail, étant donné que le par. 99(2) du Code lui laisse en la matière toute latitude pour rendre l'ordonnance qu'il estime juste. Vu l'amertume et l'intransigeance qui ont marqué ce conflit, j'approuve la conclusion du Conseil selon laquelle «il serait irréaliste» de rendre l'habituelle ordonnance d'interdiction, ou ordonnance de ne pas faire, «et même que cela entraînerait un cruel gaspillage de temps» ((1993), 93 di 21, à la p. 28). À l'instar du juge Cory, je suis donc d'avis que l'ordonnance réparatrice positive conçue par le Conseil n'était pas manifestement déraisonnable.
2 Toutefois, je tiens à exprimer des motifs distincts pour souligner qu'une ordonnance extraordinaire comme celle-ci, encore qu'elle soit justifiée dans les circonstances, va à l'encontre des codes du travail fédéral et provinciaux car elle déroge au principe cher des «libres négociations collectives» qui inspire nos lois sur les relations du travail. Le juge Cory a certes raison de souligner que le principe des «libres négociations collectives» n'est pas le seul objectif de la politique du travail qui est consacré par le Code, mais il est certainement l'un des plus importants et l'un des plus sacrés. Les mouvements ouvriers de l'Europe de l'Est ont lutté pendant des décennies contre la pratique de l'intervention de l'État dans les conventions collectives et il serait ironique et tragique que notre droit du travail évolue dans le sens de la subordination courante du principe des libres négociations collectives à l'objectif social du «règlement positif des différends». Gardant ces réflexions à l'esprit, je suis d'avis qu'en l'absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes comme celles de la présente instance il sera manifestement déraisonnable normalement qu'un conseil des relations du travail impose une telle ordonnance réparatrice envahissante étant donné que les libres négociations collectives représentent une valeur fondamentale consacrée par le Code.
Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory rendu par
I. Les faits
14 Le 25 novembre 1992, ces médiateurs spéciaux très expérimentés ont soumis un deuxième rapport provisoire dans lequel ils faisaient mention de six circonstances particulières qui faisaient de ce conflit de travail le plus difficile dont ils aient jamais été témoins. Le syndicat a accepté le rapport et les recommandations des médiateurs, mais l'appelante les a rejetés. La stratégie du ministre a consisté ensuite à désigner, le 22 décembre 1992, MM. Ready et Munroe responsables d'une commission d'enquête sur les relations du travail en application de l'art. 108 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.
15 Entre temps, une association d'employés (la «GMEA»), composée de travailleurs de remplacement et d'un petit nombre de membres du syndicat intimé qui avaient traversé la ligne de piquetage, avait commencé à s'organiser dans le but d'évincer le syndicat intimé. Le 11 janvier 1993, la GMEA a déposé une demande d'accréditation au Conseil canadien des relations du travail en vue de remplacer l'intimé comme agent négociateur accrédité. Les 29 et 30 janvier 1993, la commission d'enquête sur les relations du travail a tenu des audiences formelles. L'appelante a refusé d'y présenter une position de négociation tant que le Conseil n'aurait pas statué sur la demande d'accréditation. En conséquence, le processus de négociation sous la direction de la commission d'enquête sur les relations du travail a été ajourné du 24 février 1993 au 14 mai 1993. Le 5 mai 1993, le Conseil a rejeté la demande d'accréditation: 92 di 1. La GMEA a ensuite déposé une deuxième demande d'accréditation, mais elle a aussi été rejetée par le Conseil le 30 juin 1993. Le 26 octobre 1993, le Conseil a rendu une troisième décision expliquant que la demande d'accréditation de la GMEA avait été rejetée parce que, de l'avis du Conseil, l'association était trop dominée par l'employeur au sens de l'art. 25 du Code canadien du travail: 93 di 14. Les tentatives répétées pour faire accréditer la GMEA ont retardé le processus de négociation collective et ont dû exacerber le ressentiment.
16 Le 25 mai 1993, pendant que le conflit se poursuivait, le syndicat intimé a déposé une plainte contre l'appelante conformément à l'al. 50a) du Code canadien du travail, alléguant qu'elle n'avait pas négocié de bonne foi et n'avait pas fait tous les efforts raisonnables pour conclure une convention collective. Alors que la plainte était pendante, les membres de la commission d'enquête sur les relations du travail ont proposé aux parties un processus de recommandation exécutoire pour faciliter le règlement du conflit de travail. Le syndicat a accepté le processus, mais l'appelante a affirmé que le seul point qu'elle accepterait de soumettre à une recommandation exécutoire était la durée de la convention collective qu'elle espérait voir fixée à une période de cinq à sept ans ou au reste de la durée de vie de la mine.
II. Décisions des juridictions inférieures
Conseil canadien des relations du travail (1993), 93 di 21
21 Après huit jours d'audience, la formation du Conseil qui a entendu l'affaire a conclu à l'unanimité que l'employeur n'avait pas rempli son obligation prescrite par l'art. 50 du Code canadien du travail sous trois aspects. Premièrement, en refusant d'accepter toute clause d'arbitrage pour les questions relatives au congédiement des 45 employés et en s'opposant à leur retour au travail à quelque condition que ce soit, l'appelante a assujetti la négociation à une condition illégitime. Le Conseil a conclu que la position de l'appelante sur ce point avait «provoqué un blocage complet des négociations» (p. 27). Deuxièmement, l'appelante avait manqué à l'obligation de négocier de bonne foi en exigeant une clause relative à une période probatoire pour les employés qui reprenaient le travail. Le Conseil a décidé que cette exigence était contraire à la politique d'intérêt public et contrevenait aux principes établis en matière de relations du travail. Enfin, il a jugé illicite le refus de l'appelante de négocier avec le syndicat intimé en attendant l'issue de la demande d'accréditation de la GMEA et conclu que ce refus avait retardé la négociation collective. Le Conseil a choisi de n'intervenir que par rapport à la première violation. Les membres ont conclu (à la p. 28):
L'un des effets des violations par les parties de l'article 50 a été d'empêcher qu'une convention collective soit conclue alors qu'elle aurait pu l'être et qu'elle l'aurait été à notre avis, n'eût été de ces violations. En l'espèce, cet effet nuit à la réalisation des objectifs du Code.
24 Le Conseil a signalé que le syndicat avait également manqué à son devoir de négocier de bonne foi, mais il a conclu qu'il n'était pas nécessaire d'étudier ce point car l'appelante n'avait pas porté plainte contre le syndicat. Quant à la question de la réparation et des pouvoirs que le par. 99(2) du Code lui confère, le Conseil a reconnu qu'il devait tenter de limiter son intervention dans les négociations des parties. Toutefois, en l'espèce, le Conseil a décidé qu'il serait «irréaliste» de rendre l'habituelle ordonnance de ne pas faire, ou ordonnance d'interdiction, ou d'enjoindre aux parties de négocier «et même que cela entraînerait un cruel gaspillage de temps» (p. 28). Il s'est exprimé dans ces termes (à la p. 29):
Étant donné que les parties ont épuisé toutes les voies d'assistance qui s'offraient à elles (conciliation, médiation, intervention du Ministre et commission d'enquête sur les relations du travail), et compte tenu des torts subis par la collectivité du fait de leur intransigeance, nous sommes d'avis que ce serait une erreur de laisser la situation se prolonger davantage.
Cour d'appel fédérale (1994), 167 N.R. 234
27 La Cour d'appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du Conseil canadien des relations du travail présentée par l'appelante. Au nom de la Cour, le juge Hugessen a examiné comment le Conseil en était arrivé à la réparation ordonnée. Il a fait observer que le Conseil avait tenu compte du fait que les négociations avaient été longues et amères, et examiné attentivement le rapport et les recommandations de la commission d'enquête sur les relations du travail. Le juge Hugessen a également fait remarquer que les membres constituant cette formation du Conseil «étaient bien au courant de l'évolution des négociations entre les parties» (p. 237), ayant été appelés à rendre quatre autres décisions concernant le conflit. Il a signalé en outre que le Conseil n'avait pas entrepris à la légère sa tâche de concevoir une réparation convenable, ayant plutôt fait tout particulièrement attention aux pouvoirs qui lui sont conférés par l'art. 99 à l'égard des violations du Code. Le juge Hugessen a ensuite étudié en détail l'ordonnance définitive du Conseil.
III. Les dispositions législatives pertinentes
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2
[Préambule]
Attendu:
qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;
. . .
que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu'il estime que l'établissement de bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès . . .
22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.
(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action -- décision, ordonnance ou procédure -- du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure:
a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;
b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto.
50. Une fois l'avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent:
a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l'agent négociateur et l'employeur doivent:
(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;
(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;
97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant:
a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d'avoir manqué ou contrevenu aux [. . .] articles [. . .] 50 . . .
98. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le Conseil peut, sur réception d'une plainte présentée au titre de l'article 97, aider les parties à régler le point en litige; s'il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l'affaire dans le délai qu'il juge raisonnable dans les circonstances, il l'instruit lui-même.
99. (1) S'il décide qu'il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6) ou des articles 37, 50, 69, 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s'y conformer . . .
(2) Afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence et obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.
IV. Analyse
31 Le présent pourvoi soulève deux questions principales:
2 Le Conseil intimé a-t-il excédé sa compétence en rendant son ordonnance réparatrice?
A. La compétence du Conseil canadien des relations du travail
(1)La norme de contrôle quant à la conclusion qu'une partie n'a pas négocié de bonne foi
32 Quelle doit être la norme de contrôle applicable à la conclusion du Conseil canadien des relations du travail selon laquelle l'appelante n'a pas négocié de bonne foi? Plusieurs motifs peuvent nous autoriser à conclure qu'il n'est pas nécessaire que la décision du Conseil sur ce point soit correcte. Elle doit être confirmée, à moins d'être jugée manifestement déraisonnable. La norme doit à juste titre être celle du plus haut degré de retenue. Voir Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941. La première et principale indication qu'il s'agit là du degré de retenue exigé se trouve dans le Code canadien du travail. L'alinéa 50a) du Code dispose que les parties ont l'obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Le paragraphe 97(1) du Code porte que chacune des parties peut adresser au Conseil une plainte reprochant à l'autre d'avoir manqué à l'obligation de négocier de bonne foi. Le paragraphe 98(1) dit que le Conseil peut aider les parties à régler l'affaire ou l'instruire lui-même. Enfin, le par. 22(1) du Code dispose que la décision du Conseil est définitive et n'est pas susceptible de contestation ou de révision par voie judiciaire, sous réserve des exceptions prévues aux al. 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale, lesquelles ne sont pas applicables en l'espèce.
36 En résumé, nombre de facteurs nous autorisent à conclure qu'il ne faut pas modifier la décision du Conseil sur ce point, sauf si elle est manifestement déraisonnable. Ces facteurs sont notamment: a) la présence d'une clause privative claire et formelle; b) les dispositions du Code canadien du travail qui montrent que la décision relève clairement de la compétence du Conseil; c) la décision quant à l'absence de bonne foi est essentiellement une conclusion de fait qu'il appartient au Conseil de tirer; d) le Conseil a la compétence et l'expérience requises pour statuer sur ce type précis de question; e) les cours de justice ont fait preuve tout à fait à bon droit de beaucoup de retenue à l'égard des décisions des conseils de relations du travail.
(2)La conclusion du Conseil selon laquelle l'appelante n'a pas négocié de bonne foi est-elle manifestement déraisonnable?
37 Le Conseil a décidé que l'appelante avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi sous trois aspects. Premièrement, elle a refusé de négocier avec le syndicat intimé, agent négociateur exclusif des employés, tant qu'il n'aurait pas été statué sur la demande d'accréditation de l'association d'employés concurrente, la GMEA. Selon un principe fondamental de tout code du travail, l'employeur est obligé de reconnaître le syndicat accrédité et de négocier uniquement avec cette association. Le Conseil a refusé deux fois l'accréditation à la GMEA et il a, en fin de compte, décidé qu'elle était dominée par l'employeur au sens de l'art. 25 du Code. Il était donc facile d'en inférer que l'appelante cherchait à éviter l'agent négociateur que les employés avaient choisi pour défendre leurs intérêts. L'appelante devait évidemment présumer que si la GMEA était accréditée, il lui serait plus facile d'obtenir des concessions importantes dans la négociation d'une nouvelle convention. Cette manière d'agir allait clairement à l'encontre de l'obligation de négocier de bonne foi.
38 Deuxièmement, le Conseil a conclu que l'appelante avait manqué à son obligation en exigeant une clause relative à une période probatoire pour tous les employés qui reprenaient le travail. Les employés avaient déclenché une grève légale, comme ils en avaient parfaitement le droit. En essayant de punir ceux qui avaient participé à une activité syndicale légale, l'appelante minait l'application et les principes fondamentaux de la loi sur les relations du travail. Le paragraphe 94(3) du Code canadien du travail dit expressément:
94. . . .
(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte:
a) de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d'emploi, de salaire ou d'autres conditions d'emploi, de l'intimider, de la menacer ou de prendre d'autres mesures disciplinaires à son encontre pour l'un ou l'autre des motifs suivants:
. . .
(vi) elle a participé à une grève qui n'est pas interdite par la présente partie ou exercé un droit quelconque prévu par cette dernière; [Je souligne.]
41 Tous les codes des relations du travail fédéral et provinciaux contiennent une disposition semblable à l'art. 50 du Code canadien du travail qui oblige les parties à se rencontrer et à négocier de bonne foi. Pour que la négociation collective soit un processus équitable et efficace, il est essentiel que l'employeur et le syndicat négocient dans le cadre des règles établies par le code du travail applicable. Dans le contexte du devoir de négocier de bonne foi, chaque partie doit s'engager à chercher honnêtement à trouver un compromis. Les deux parties doivent se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions.
42 L'alinéa 50a) du Code canadien du travail prévoit une double obligation. Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi, mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les deux éléments sont d'égale importance et une partie déroge à cette disposition si elle ne remplit pas les deux obligations. Il peut fort bien y avoir des exceptions mais, en règle générale, l'obligation d'entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d'activités. C'est la deuxième partie de l'obligation qui empêche une partie de se dérober en prétendant qu'elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu'objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d'activités qu'elles doivent être tenues pour déraisonnables.
[TRADUCTION] . . . l'employeur doit se retenir de prendre des positions de négociation dont il doit certainement savoir qu'elles seraient inacceptables aux yeux de pratiquement toute association de travailleurs. C'est une chose de dire que les circonstances ont changé à tel point que l'entente de principe n'est plus acceptable. C'en est une autre de créer des écarts entre les positions de négociation qu'il sera impossible de combler.
B. Le refus par l'appelante de négocier la question des employés congédiés
L'employeur n'a pas négocié de façon serrée (hard bargaining) en vue de protéger ses intérêts légitimes dans le cadre d'une relation de travail collective et négociée. L'employeur a négocié en surface. Au plan formel, il a adopté une attitude qui est à première vue irréprochable, dans la mesure où les gestes habituels y sont. À l'examen, cette attitude s'avère illégitime, injustifiable et contraire à ce qui est admissible en matière de négociation de bonne foi. [En caractères gras dans l'original.]
À mon avis, cette conclusion est correcte et applicable à l'affaire qui nous occupe.
47 Le caractère déraisonnable de la position de l'appelante dans la présente espèce peut être mesuré objectivement par rapport à d'autres affaires portant sur des faits semblables. Dans l'affaire Rogers Cable T.V. (British Columbia) Ltd. (1987), 69 di 17, le syndicat a prétendu que l'employeur avait pris des mesures disciplinaires illégales contre certains de ses membres employés par la société, en les suspendant pour des actes qu'ils auraient commis sur la ligne de piquetage durant une grève légale. Le Conseil a rejeté la plainte du syndicat, jugeant qu'une fois la grève ou le lock-out terminé et la relation employeur-employés pleinement rétablie, le Code n'interdit aucunement à l'employeur de recourir à ses pouvoirs disciplinaires rétablis en ce qui a trait aux actes survenus durant l'arrêt de travail. Toutefois, le Conseil n'a tiré cette conclusion qu'après avoir conclu que l'employeur ne s'appuyait sur aucun motif répréhensible découlant de la participation des employés aux activités légales du syndicat. Le Conseil s'est exprimé en ces termes, à la p. 38:
En utilisant le système de négociation collective libre pour conclure un protocole de retour au travail et en garantissant le droit des employés de porter plainte et de soumettre à l'arbitrage les peines qui leur seraient infligées, l'employeur a écarté tout signe d'antisyndicalisme. [Je souligne.]
49 En résumé, quant à la conclusion du Conseil selon laquelle l'appelante n'a pas négocié de bonne foi, je suis d'avis que le Code canadien du travail attribuait au Conseil le pouvoir de statuer précisément sur cette question et que les cours de justice ne doivent pas annuler sa décision, sauf si elle est manifestement déraisonnable. Il était tout à fait fondé à dire que l'appelante avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi en imposant une condition déraisonnable comme préalable à la négociation collective. De toute évidence, la décision n'était donc pas manifestement déraisonnable et la Cour d'appel fédérale, qui l'a reconnu, a déféré à juste titre à la décision du Conseil. Il y a maintenant lieu d'examiner la question plus complexe de la compétence du Conseil pour ordonner la réparation.
C. La compétence du Conseil pour ordonner des réparations
Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence. À mon avis, les tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l'assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu'il existe un doute à cet égard.
51 Récemment, dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, le juge Iacobucci a apporté son soutien à ce point de vue en remarquant, à la p. 181:
. . . dans le cas d'un tribunal aussi spécialisé que le Conseil canadien des relations du travail, dont le bon fonctionnement requiert un règlement rapide et final des différends, les cours de justice devraient hésiter à qualifier une disposition d'attributive de compétence, à moins que cette qualification ne s'impose clairement . . .
52 Dans l'arrêt Eastern Provincial Airways Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail (1984), 65 N.R. 81, la Cour d'appel fédérale, appelée à décider si le Conseil avait excédé les pouvoirs que lui attribue le Code en matière de réparation, s'est référée aux arrêts de notre Cour Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710, et Conseil canadien des relations du travail c. Association des débardeurs d'Halifax, [1983] 1 R.C.S. 245, dans lesquels il a été décidé que les cours de justice doivent normalement respecter la manière dont le Conseil a choisi d'exercer les larges pouvoirs que lui confère l'art. 189 (maintenant le par. 99(2)). Le juge Pratte ajoute à la p. 84: «. . . en d'autres mots, selon l'interprétation que je donne à ces deux arrêts, ce n'est que dans les cas les plus patents que la Cour devrait annuler une décision du Conseil au motif que celle-ci n'est pas autorisée en vertu de l'article 189». Dans l'arrêt Syndicat des camionneurs, le juge en chef Laskin fait observer, à la p. 724:
. . . un simple doute quant à l'exactitude d'une interprétation donnée par un conseil des relations du travail au sujet des pouvoirs que la loi lui attribue ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à une erreur de compétence, spécialement si ce conseil exerce les pouvoirs qui lui sont conférés, en termes généraux, de résoudre des prétentions contradictoires.
54 Dans l'arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, notre Cour a conçu une démarche fonctionnelle et pragmatique pour déterminer si le législateur a voulu que la portée des ordonnances réparatrices prévues au par. 99(2) du Code canadien du travail ressortisse au Conseil ou si cette disposition visait à circonscrire la compétence du Conseil. Pour résoudre cette question, le juge Beetz a énoncé, au nom de la Cour, les facteurs dont il faut tenir compte: a) le libellé des dispositions législatives qui confèrent la compétence au tribunal administratif; b) l'objet de la loi qui crée le tribunal; c) la raison d'être de ce tribunal; d) le domaine d'expertise de ses membres; e) la nature du problème soumis au tribunal. L'examen de ces facteurs démontre clairement que les cours de justice doivent faire preuve de retenue à l'égard des réparations ordonnées par le Conseil.
55 Il ressort du texte de la loi que le législateur a clairement conféré au Conseil canadien des relations du travail de vastes attributions en matière de réparation. Le libellé du par. 99(2) n'apporte pas de limitations précises à la compétence du Conseil. En fait, le Conseil peut, afin d'assurer la réalisation des objectifs du Code, rendre toute ordonnance qu'il est «juste» de rendre obligeant une partie à prendre des mesures. À mon avis, le législateur a agi ainsi pour donner au Conseil toute latitude pour tenir compte des circonstances toujours différentes des litiges très variés dans le domaine délicat des relations du travail. Les objectifs du Code canadien du travail comprennent le règlement positif des différends pour le bien des parties et de la population. C'est pour réaliser ces objectifs que le législateur a établi des conseils du travail qui ont les compétences et l'expérience voulues. Le législateur entendait que ce soit le Conseil qui tranche le problème dont il a été saisi.
56 La prescription selon laquelle l'ordonnance du Conseil doit remédier ou parer aux effets de la violation du Code impose comme condition que la réparation accordée par le Conseil doit avoir un lien rationnel avec la violation et ses conséquences. Cette prescription est aussi conforme au critère établi dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269, qui exigeait un rapport entre la violation, ses conséquences et la réparation. L'article 99 dispose en outre que le Conseil peut remédier aux violations qui sont néfastes à la réalisation des objectifs du Code. Le Conseil est donc investi du pouvoir d'accorder des réparations qui soient conformes à la politique qui sous-tend le Code. Par conséquent, si le Conseil accorde une réparation qui n'a pas de lien rationnel avec la violation et ses conséquences, ou qui est incompatible avec les objectifs visés par la loi, il excède sa compétence. Sa décision est alors manifestement déraisonnable.
57 Les conseils des relations du travail ont beaucoup de compétences et d'expérience dans un domaine dynamique, complexe et délicat. Les cours de justice ne disposent généralement pas d'autant de compétences et d'expérience dans ce champ d'activités difficile et en perpétuelle mutation. Reconnaissant ce fait, les cours appelées à exercer un contrôle ont déféré aux conclusions des conseils qui sont d'ordinaire les mieux placés pour interpréter et appliquer leur loi habilitante. Les observations du juge McIntyre à cet égard, dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, aux pp. 416 et 417, sont pertinentes et méritent certainement d'être réitérées:
Notre expérience en matière de relations de travail montre que les tribunaux, en règle générale, ne sont pas les meilleurs arbitres des différends qui peuvent surgir à l'occasion. La législation du travail a reconnu ce fait, en créant d'autres procédures et d'autres tribunaux en vue d'obtenir un règlement plus prompt et efficace des problèmes qui surviennent dans le domaine du travail. Souvent, les problèmes en matière de travail ne se résument pas à des questions juridiques. Des questions politiques, sociales et économiques dominent fréquemment les conflits de travail. La création par voie législative de conciliateurs, de conseils d'arbitrage, de commissions des relations du travail et de tribunaux du travail a permis, dans une large mesure, de répondre à des besoins auxquels ne pouvait satisfaire le système judiciaire. La nature des conflits de travail, des griefs et des autres problèmes qui surgissent dans ce domaine, commande le recours à des procédures spéciales, en dehors du système judiciaire ordinaire, pour les résoudre. Les juges n'ont pas les connaissances spécialisées toujours utiles et parfois nécessaires pour résoudre les problèmes en matière de travail. Les tribunaux en général ne disposent pas dans ces affaires, si l'expérience passée peut nous guider, d'un fondement probatoire qui puisse permettre de résoudre complètement le différend. À mon avis, il n'est guère contesté que les tribunaux spécialisés en matière de relations de travail sont mieux équipés que les tribunaux judiciaires pour résoudre les problèmes en matière de travail, sauf s'il s'agit de questions purement juridiques.
58 À mon avis, la réparation est une question qui relève directement de la compétence spécialisée des conseils des relations du travail. Peut-être plus que toutes les autres fonctions, la recherche de la réparation convenable fait appel aux connaissances spécialisées et à la vaste expérience de ces conseils. Aucun autre organisme n'a les compétences et l'expérience requises en relations du travail pour trouver une solution juste et pratique qui permette aux parties de régler définitivement leur différend. Les ordonnances réparatrices représentent une partie importante des attributions du Conseil. Le paragraphe 99(2) du Code canadien du travail reconnaît l'importance de ce rôle et, par conséquent, laisse au Conseil une grande liberté d'action et un large pouvoir discrétionnaire pour concevoir la réparation «juste» qu'il estime la mieux à même de résoudre le problème et de régler le conflit. En édictant que le Conseil peut formuler des réparations justes, le législateur a indiqué clairement qu'il lui a confié des pouvoirs étendus en matière de réparation. De plus, une clause privative de large portée contenue dans le par. 22(1) dispose que, non seulement les décisions du Conseil, mais aussi ses ordonnances, sont définitives. Cette disposition nous permet d'affirmer que les cours de justice doivent déférer aux ordonnances réparatrices du Conseil qui relèvent de sa compétence. C'est donc dire que les cours de justice ne doivent pas modifier les réparations ordonnées par le Conseil, sauf si elles sont manifestement déraisonnables.
59 Le paragraphe 99(2) du Code confère au Conseil canadien des relations du travail le pouvoir d'imposer une réparation. La question de savoir si le Conseil peut imposer une réparation aux parties est donc une question de compétence. Si le Conseil décidait qu'il ne peut pas imposer une réparation pour parer à une violation reprochée à une partie, la partie lésée aurait le droit de faire valoir devant la cour exerçant le contrôle que le Conseil a incorrectement interprété sa loi habilitante. La cour serait alors en droit, pour statuer sur la question de compétence, de contrôler la décision du Conseil, selon la norme de la décision correcte afin de déterminer si, de fait, celui-ci avait le pouvoir dont il a estimé ne pas être investi. Toutefois, quand il a été établi que, d'après les dispositions de la loi habilitante, le Conseil est en fait compétent pour imposer certaines réparations, la question de la réparation que le Conseil choisit d'imposer dans une situation donnée relève de sa compétence. Puisque l'ordonnance du Conseil relève de sa compétence, elle doit être appréciée selon la norme du caractère manifestement déraisonnable.
60 Recourir à la norme de la «décision correcte» serait, quant à la réparation convenable, substituer l'opinion des cours de justice à celle du Conseil. Cela signifierait que les cours de justice n'accorderaient aucun crédit à l'expérience et aux compétences du Conseil. Le régime établi par le Code canadien du travail, y compris la clause privative, serait vide de sens. Il ne faut pas oublier que la norme du caractère manifestement déraisonnable ne donne pas au Conseil toute liberté pour imposer n'importe quelle réparation. Par exemple, si la cour de justice estimait que la réparation imposée par le Conseil n'a aucun rapport avec la violation constatée, ou qu'elle est purement punitive ou encore qu'elle est contraire aux objectifs du Code canadien du travail, elle pourrait à bon droit décider que l'ordonnance est manifestement déraisonnable. Toutefois, aucune de ces qualifications n'est applicable à l'ordonnance réparatrice rendue dans la présente espèce.
D. L'ordonnance réparatrice en l'espèce
[TRADUCTION] La complexité de ce conflit -- mentionnons l'échec de la conciliation et de la médiation, le rejet de l'entente de principe, le différend avec le syndicat quant au caractère représentatif de celui-ci, la campagne pour la révocation d'accréditation pendant la grève et la poursuite de l'exploitation de la mine par des travailleurs de remplacement -- est assez exceptionnelle. Si l'on ajoute à ces éléments le meurtre de neuf travailleurs, une enquête de la GRC en cours, l'intimidation et les menaces de mort contre les mineurs et leur famille, la violence, dont des tabassages, qui s'est déversée dans la collectivité et la déclaration de la mairesse de Yellowknife selon laquelle la loi martiale risquait d'être imposée, on est en présence d'une tragédie sans précédent dans les annales des relations du travail au Canada. L'échauffourée du Mardi noir de 1931 dans les houillères de Souris en Saskatchewan, la grève à l'Inco en 1969, la grève à la Placer Dome en 1990 et la grève plus récente à la Brunswick Mining and Smelting perdent toute leur importance auprès de ce conflit.
64 Le paragraphe 99(2) du Code canadien du travail attribue au Conseil la compétence pour rendre «une ordonnance qu'il est juste de rendre [. . .] et obligeant l'employeur [. . .] à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation [des] objectifs» du Code. (Je souligne.) L'obligation des parties de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention constitue une importante condition préalable de la réalisation des objectifs généraux du Code. Le Conseil a estimé que l'appelante avait manqué à cette obligation. Par conséquent, le Conseil était habilité à remédier aux effets de cette violation. Il importe de signaler que les mots «prendre des mesures» confèrent au Conseil des pouvoirs très étendus, l'autorisant à imposer à la partie en défaut des obligations positives et des obligations négatives.
(1) Les objections de l'appelante à l'ordonnance du Conseil
68 Il existe quatre cas dans lesquels une ordonnance réparatrice sera tenue pour manifestement déraisonnable: (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés; (3) lorsqu'il n'y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; et (4) lorsque la réparation va à l'encontre des objectifs du Code. L'appelante a soutenu que l'ordonnance du Conseil était défectueuse au regard des troisième et quatrième critères précités, savoir le critère du «lien rationnel» et celui de la «conformité avec les objectifs».
a) Lien rationnel
69 Dans l'arrêt Banque nationale, précité, il a été décidé qu'il devait y avoir un rapport entre la violation, ses conséquences et la réparation. Toutefois, la nécessité d'un lien rationnel ressort à l'évidence du libellé du par. 99(2), qui exige que la réparation imposée par le Conseil soit conçue pour parer aux effets de la violation qu'il a constatée. Autrement dit, le Conseil doit viser à réparer une violation déterminée du Code mais, pour le faire, il doit s'assurer qu'il y a un rapport entre la pratique déloyale, ses conséquences sur le processus de négociation et la réparation imposée.
70 En l'espèce, il y avait un lien clair de cause à effet entre la violation, ses conséquences et la réparation imposée par le Conseil. Tout d'abord, celui-ci a conclu que la violation consistait dans la position intransigeante de l'appelante relativement à une procédure équitable pour les employés congédiés. La conséquence de cette violation a été un blocage des négociations si complet qu'il a empêché la conclusion de toute convention collective. L'impasse a prolongé le grave préjudice causé à la collectivité de Yellowknife. La nature, l'ampleur et l'effet du manquement à l'obligation de négocier de bonne foi peuvent dans certains cas justifier en soi l'imposition d'une ordonnance réparatrice. Pour être valide, cette ordonnance doit porter sur l'effet de la violation et être conforme aux objectifs du Code canadien du travail. Plus fréquemment peut-être, c'est la violation de l'obligation de négocier de bonne foi combinée à d'autres facteurs qui justifiera une ordonnance réparatrice.
b) Conformité avec les objectifs
72 L'appelante a soutenu en outre que l'ordonnance du Conseil était trop sévère et était contraire aux objectifs du Code. Plus précisément, elle a centré son argumentation sur l'importance de la liberté de la négociation collective et affirmé que le Conseil était tenu de lever l'obstacle au processus de négociation, mais qu'il aurait ensuite dû laisser les parties négocier jusqu'à ce qu'elles concluent une convention. L'appelante a soutenu que le Conseil avait excédé ses pouvoirs en mettant fin aux négociations péremptoirement au lieu de permettre aux parties de négocier elles-mêmes un règlement.
73 Les objectifs du Code canadien du travail sont énoncés dans son préambule à la partie I. Parmi ceux-ci on compte a) celui de favoriser le bien-être de tous; b) l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives; c) le règlement positif des différends; d) la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives comme fondements de relations du travail fructueuses; e) de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs; f) de bonnes relations du travail qui servent l'intérêt du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès.
74 En vertu du par. 99(2), le Conseil a le pouvoir de concevoir une réparation afin d'assurer la réalisation des objectifs du Code. De plus, les réparations qu'il impose sont censées parer aux effets des violations des parties qui sont néfastes à la réalisation de ces objectifs. Par conséquent, une partie intégrante du rôle du Conseil en matière de réparation consiste à faire tout son possible pour que les objectifs du Code soient réalisés. Cela ne peut pas signifier que, dans tous les cas, il faut toujours privilégier un objectif au point de nuire à la réalisation de tous les autres. Le Conseil est tenu d'équilibrer tous les objectifs du Code canadien du travail et, au moment de concevoir son ordonnance, de bien peser, dans le contexte du cas qui l'occupe, tous les facteurs importants énumérés dans le préambule.
(2) L'intérêt de la collectivité
[TRADUCTION] Nous le disons sans détours. En droit, le conflit entre les parties est essentiellement de nature privée. Mais dans les faits, les retombées publiques du conflit ont été énormes et, du moins selon notre expérience, sans précédent. Les deux côtés doivent à la collectivité de faire un geste sérieux et concret pour régler ce conflit qui peut sembler insoluble.
Étant donné que les parties ont épuisé toutes les voies d'assistance qui s'offraient à elles (conciliation, médiation, intervention du Ministre et commission d'enquête sur les relations du travail), et compte tenu des torts subis par la collectivité du fait de leur intransigeance, nous sommes d'avis que ce serait une erreur de laisser la situation se prolonger davantage. [Je souligne.]
Cela ne signifie pas cependant que le Conseil ne peut imposer des conditions qui se rapportent de façon précise au contenu des propositions. Dès que l'on suppose, comme j'ai dit qu'il faut le faire, que le contenu des propositions peut servir de fondement à la conclusion qu'il y a eu violation de l'obligation de négocier de bonne foi, il doit s'ensuivre que le redressement peut se rapporter au contenu des propositions afin de «se conformer» à l'al. 33a) [l'art. 50 dans le présent pourvoi].
83 Dans cet arrêt, l'ordonnance rendue par le conseil de la Nouvelle-Écosse était énoncée en termes positifs plutôt que négatifs; plus précisément, l'employeur devait s'engager à ne pas embaucher de conducteurs d'autobus contractuels et une clause relative à la sécurité syndicale devait être insérée dans la nouvelle convention. Le juge Dickson a conclu que cette réparation était l'offre minimale qui, selon le conseil de la Nouvelle-Écosse, constituerait de la négociation serrée par rapport à de la négociation de surface. Il a statué que le Conseil avait agi dans les limites de son pouvoir d'enjoindre à une partie de se conformer à l'al. 33a) de la Loi. À mon avis, le libellé du par. 99(2) du Code canadien du travail est certainement assez large pour englober toute mesure qui serait visée par les mots «se conformer».
86 De même, dans Brewster Transport, précité, le Conseil a décidé une fois de plus que l'employeur avait négocié de mauvaise foi. Par suite de cette violation, l'ordonnance réparatrice obligeait notamment l'employeur à déposer à nouveau son offre de convention collective, amputée de ses conditions illégales. L'employeur a présenté une demande de réexamen de l'ordonnance pour le motif que le Conseil avait excédé sa compétence en lui imposant une convention collective. Le comité de révision a rejeté la demande ((1986), 66 di 133) parce que l'ordonnance était conforme aux réparations antérieures imposées par le Conseil, que la Cour d'appel fédérale avait confirmées. Le comité a estimé à juste titre que le Conseil n'avait pas imposé de convention collective, mais seulement rétabli celle déjà proposée par l'employeur. Comme en l'espèce, l'employeur a été obligé de déposer une convention tandis que le syndicat avait toujours le choix de ratifier ou non la nouvelle convention. Le comité a expliqué que, comme le syndicat n'avait pas violé le Code, il ne pouvait pas être forcé à accepter la convention. Le Conseil cherchait simplement à soumettre au syndicat une offre qui aurait été déposée si l'employeur n'avait pas manqué à l'obligation de négocier de bonne foi.
88 L'employeur dans l'affaire Brewster Transport a également soutenu que l'ordonnance du Conseil allait à l'encontre des principes des libres négociations collectives qui sous-tendent le Code. Le comité a répondu qu'une fois qu'une partie a violé les règles fondamentales, par exemple, l'obligation de négocier de bonne foi énoncée à l'art. 50, les parties ne peuvent plus s'attendre à ce que la même liberté de négociation sans entrave leur soit reconnue. Je souscris à ce raisonnement.
91 Dans mes motifs de l'affaire Tandy, précitée, à la p. 214, je fais cette remarque:
[TRADUCTION] Il est certain que la Commission ne peut pas imposer aux parties une convention collective et qu'elle ne doit pas normalement imposer aux parties une condition d'une convention collective. [Je souligne.]
93 L'appelante a soutenu en outre que l'art. 80 du Code canadien du travail qui confère au Conseil le pouvoir spécial d'imposer aux parties une première convention collective si elles n'ont pas réussi à en conclure une, serait superflu si le par. 99(2) lui accorde déjà ce pouvoir. Je ne peux pas accepter cet argument. Tout d'abord, la réparation prévue à l'art. 80 est laissée à l'appréciation du ministre. Elle peut être imposée même si aucune pratique déloyale de travail n'a été constatée. De plus, s'agissant d'une première convention collective, le Conseil peut préparer son propre texte, s'il croit que cette mesure sera dans l'intérêt des parties. Cette convention définitive est ensuite imposée aux deux parties sans que sa ratification par l'une ou l'autre soit nécessaire. C'est une ordonnance définitive qui lie les parties. Au lieu de rédiger la première convention elles-mêmes, les parties, sous le régime de l'art. 80, peuvent présenter des éléments de preuve au Conseil. Toutefois, le Conseil a toute latitude pour déterminer dans quelle mesure il en tiendra compte. Par contre, l'entente de principe était une convention rédigée par l'appelante elle-même, que le syndicat a eu la possibilité de ratifier. Elle a été ordonnée comme mesure visant à parer aux effets de la violation par l'appelante de l'obligation de négocier de bonne foi. Il est évident que l'art. 80 du Code s'applique à une situation tout à fait différente. Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter restrictivement le par. 99(2) à cause des dispositions de l'art. 80.
[TRADUCTION] Certes, les conditions de la convention collective doivent être négociées entre les parties, mais il convient que soit imposée une durée suffisante pour garantir qu'une grève (ou un lock-out) ne soit pas légalement possible pendant un bon nombre d'années.
(3) Sommaire concernant l'ordonnance réparatrice
98 De toute évidence, il ne faut jamais oublier que les libres négociations collectives sont un principe fondamental du Code canadien du travail et des relations du travail. En règle générale, il faut laisser libre cours à ce processus. Néanmoins, il se produit des cas où l'on ne saurait permettre que ce principe soit prédominant. Si le conflit a été long et amer, les parties intransigeantes et leurs positions inflexibles, si l'on a constaté que l'une des parties n'a pas négocié de bonne foi et que ce manquement a empêché la conclusion d'une convention collective, si la grève cause des torts à la collectivité, alors le conseil peut légitimement user de son expérience et de ses compétences spécialisées pour concevoir une réparation. Cela vaut même si la réparation a pour effet de mettre fin aux libres négociations collectives. Ce résultat découle, en partie, de la mauvaise foi de l'une des parties qui entrave le processus de la négociation et, en partie, des autres principes et facteurs dont le Conseil doit tenir compte dans l'application de la disposition du Code canadien du travail.
102 L'ordonnance réparatrice avait un lien direct avec les effets de l'omission de négocier de bonne foi et, dans la mesure du possible, était conforme aux objectifs du Code canadien du travail. Le Conseil a examiné ces objectifs et conçu en conséquence une réparation qui intègre le règlement positif du différend et la pondération de l'intérêt public et des intérêts des parties. À mon avis, il n'y a rien à redire à l'ordonnance du Conseil, qui relevait de sa compétence. Par conséquent, en appliquant le degré voulu de retenue, j'estime que l'ordonnance n'était pas manifestement déraisonnable et ne peut donc pas être annulée. Pourtant, si cela était nécessaire, j'irais jusqu'à dire que si la norme que l'ordonnance devait respecter était celle de la décision correcte, alors elle satisferait également à cette norme. Vu les circonstances de l'espèce, l'ordonnance rendue était correcte.
V. Dispositif
103 Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Version française des motifs des juges Sopinka, McLachlin et Major rendus par
LE JUGE MAJOR (dissident) --
I. Introduction
107 L'ordonnance du Conseil a eu pour effet d'imposer à l'employeur les conditions d'une nouvelle convention collective. C'était une forme d'arbitrage obligatoire qui dépassait les limites de la compétence en matière de réparation dont le Conseil est investi par le par. 99(2) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.
108 Le lien requis entre la violation, les conséquences néfastes à la réalisation des objectifs du Code et la réparation ne ressort pas de l'ordonnance imposée par le Conseil. De plus, celle-ci ne favorise pas l'objectif premier du Code qui est d'encourager le règlement positif des différends par les parties grâce à la pratique des libres négociations collectives.
109 Il est facile de comprendre le désir du Conseil de s'interposer dans un conflit marqué par la ranc{oe}ur, qui a divisé une collectivité et entraîné des pertes de vies humaines. Néanmoins, c'est aux organes exécutif et législatif qu'il appartenait de mettre un terme à ce conflit, le libellé du par. 99(2) du Code ne déléguant pas ce pouvoir au Conseil.
II. Les faits
122 Le 25 mai 1993, le syndicat intimé a saisi le Conseil d'une plainte contre l'appelante conformément à l'al. 50a) du Code canadien du travail, alléguant que celle-ci, une fois l'avis de négociation collective donné, n'avait pas négocié de bonne foi et n'avait pas fait tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.
III. La décision du Conseil canadien des relations du travail
128 Le Conseil décrit la situation dans ces termes, aux pp. 25 et 26:
Il ne fait aucun doute que la ligne de piquetage a été la scène de nombreux actes de violence qui, à une occasion, ont dégénéré en émeute. Après avoir étudié les rapports et les films vidéo de ces incidents, l'employeur a décidé de congédier les employés en grève qui, à ses yeux, s'étaient conduits de façon répréhensible. Les employés en grève demeurent des employés et, dans les cas où ils endommagent des biens de l'employeur ou s'attaquent à d'autres employés, ils peuvent faire l'objet de mesures disciplinaires, y compris d'un congédiement. Lorsque de telles mesures sont prises, les employés ne peuvent ordinairement pas recourir à la procédure de règlement des griefs, vu l'absence de convention collective prévoyant une telle procédure. Il est habituel cependant, une fois la grève terminée et une nouvelle convention collective conclue, de prévoir implicitement ou explicitement une procédure en vue de trancher les questions découlant du présumé exercice illégal des pouvoirs disciplinaires pendant le grève. Dans la présente affaire, l'employeur a décidé de refuser toute disposition prévoyant l'arbitrage ou quelque autre mécanisme indépendant de règlement des litiges découlant du congédiement des 45 grévistes en question et de n'accepter sous aucune condition leur retour au travail.
Cet aspect de l'affaire demande un certain développement, puisqu'il est manifeste que la position de l'employeur procède d'une conviction profonde et que nous estimons aussi qu'il s'agit d'une position à l'appui de laquelle des arguments sérieux, quoique non déterminants, peuvent être formulés. Si les employés congédiés ont réellement commis les actes de vandalisme ou les voies de fait que l'employeur leur reproche, si les actes commis sont effectivement graves et si, peut-être, les employés en question avaient des dossiers attestant des mesures disciplinaires antérieures, il y aurait alors sans doute motif de congédiement. L'employeur a affirmé qu'il ne pouvait permettre leur retour au travail à cause du danger qu'il y aurait à faire travailler ces personnes en compagnie d'autres employés ayant adopté une position différente pendant la grève; cette considération revêt ici une importance toute particulière puisque le travail s'effectue au fond d'une mine, où les possibilités que des voies de fait ou des actes pires encore passent inaperçus sont innombrables et où la confiance à l'égard de ses collègues de travail est essentielle. Cet argument ne manque pas de poids.
Cependant, [l'argument de l'appelante] ne saurait être retenu dans le présent contexte puisqu'il présume de la culpabilité des personnes en cause ou, plus précisément peut-être, qu'il affirme le droit de l'employeur d'être à la fois accusateur et juge. Il se peut qu'un employeur soit en droit d'exercer ces deux rôles dans un contexte non régi par la négociation collective, mais tel n'est pas le cas en l'espèce. Mieux vaut laisser à une tierce partie impartiale le soin de trancher les questions relatives à l'identification des personnes et aussi à l'évaluation de la gravité des actes et des circonstances dans lesquelles ils ont été commis. Cette façon de procéder est d'autant plus indiquée dans des situations tendues.
Avant d'aborder la question des mesures de redressement, il nous faut signaler que le syndicat, quant à lui, a également manqué à son devoir de négocier de bonne foi à un certain nombre d'occasions. Cependant, il aurait abandonné depuis les positions qu'on ne peut que qualifier de déraisonnablement optimistes -- et de toute évidence inacceptables -- qu'il avait prises à l'occasion. Par exemple, en mai 1993, le syndicat avait formulé l'exigence plutôt irréaliste d'après laquelle les parties devaient revenir à la convention collective antérieure, cherchant ainsi à obtenir plus qu'il n'avait demandé en janvier de la même année. Manifestement, cette proposition n'avait aucune possibilité d'être acceptée et ne faisait que renforcer chez l'employeur le sentiment que le syndicat ne négociait pas sérieusement.
Dans ce genre d'affaires, le Conseil dispose de pouvoirs de redressement très étendus. En effet, le paragraphe 99(2) du Code prévoit que, pour assurer la réalisation des objectifs de la Partie I du Code qui sont énoncés dans son préambule, le Conseil peut rendre, relativement à toute violation de toute disposition visée au paragraphe (1), [. . .] «une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence et obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs».
139 Selon le Conseil, l'un des effets des violations par les deux parties de l'obligation de négocier de bonne foi a été d'empêcher qu'une convention collective soit conclue, effet qui nuit à la réalisation des objectifs du Code (à la p. 28):
L'un des effets des violations par les parties de l'article 50 a été d'empêcher qu'une convention collective soit conclue alors qu'elle aurait pu l'être et qu'elle l'aurait été à notre avis, n'eût été de ces violations. En l'espèce, cet effet nuit à la réalisation des objectifs du Code.
Dans la plupart des cas où il conclut à un défaut de négocier, le Conseil a tenté de limiter son intervention, et nous sommes d'avis qu'il devrait ordinairement en être ainsi. Or, dans la présente affaire, nous estimons qu'il serait irréaliste de rendre une ordonnance d'interdiction ou d'enjoindre aux parties de négocier et même que cela entraînerait un cruel gaspillage de temps. Les deux parties ont fait preuve, à répétition, d'une intransigeance obtuse telle que les médiateurs spéciaux [. . .], tous deux d'une grande expérience, ont affirmé que ce conflit de travail avait été le plus difficile dont ils avaient jamais été témoins. La triste histoire des négociations entre les parties et les événements tragiques qui ont suivi l'échec de ces négociations nous amènent à partager le pessimisme exprimé par les médiateurs et par d'autres personnes.
En temps normal, le Conseil ordonnerait à l'employeur de soumettre à la ratification du syndicat une offre semblable à sa «dernière offre», amputée de ses exigences inadéquates ou illégales. Dans le cas qui nous occupe, le cours des négociations ne permet de déterminer de façon satisfaisante aucune dernière offre complète; toutefois, il est clair à nos yeux que les recommandations formulées par la commission d'enquête sur les relations du travail devraient répondre, pour l'essentiel à tout le moins, aux exigences raisonnables des deux parties.
IV. Analyse
145 L'appelante fait valoir deux objections à la décision du Conseil. Premièrement, elle prétend que la conclusion du Conseil selon laquelle elle a négocié de mauvaise foi est indéfendable. Deuxièmement, elle soutient que le Conseil a excédé la compétence que le par. 99(2) du Code canadien du travail lui confère en matière de réparation en lui imposant les conditions d'une convention collective.
A.La norme de contrôle de la conclusion relative à la négociation de mauvaise foi
148 Les sous-alinéas 50a)(i) et (ii) du Code canadien du travail, si on les rapproche des art. 98 et 99, investissent de toute évidence le Conseil du pouvoir de décider si une partie a négocié de bonne foi et si une partie a fait «tout effort raisonnable pour conclure une convention collective»:
50. Une fois l'avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent:
a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l'agent négociateur et l'employeur doivent:
(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;
(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;
. . .
99. (1) S'il décide qu'il y a eu violation des [. . .] articles [. . .] 50 [. . .], le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s'y conformer . . .
150 De plus, comme le souligne le juge Cory, le Conseil est protégé par une clause privative claire et formelle, énoncée au par. 22(1) du Code canadien du travail.
151 La décision du Conseil sur ce point ne peut être annulée que si elle est manifestement déraisonnable: arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, le juge Iacobucci, à la p. 590:
Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. À une extrémité de la gamme, où la norme du caractère raisonnable de la décision appelle le plus haut degré de retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n'existe aucun droit d'appel prévu par la loi. Voir les arrêts Le syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1089 (Bibeault) et Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.
B. La conclusion du Conseil est-elle manifestement déraisonnable?
(1)la position qualifiée de déraisonnable par le Conseil portait sur une question non pécuniaire;
(2)l'appelante a maintenu sa position objectivement déraisonnable jusqu'à l'impasse;
(3)cette constatation de mauvaise foi s'inscrit dans le contexte de la conclusion bien fondée du Conseil selon laquelle l'appelante était de mauvaise foi en faisant du règlement de la question une condition préalable à toute négociation.
159 La Cour d'appel fédérale a bien décidé sur ce point lorsqu'elle a dit:
. . . nous ne pouvons vraiment dire que les conclusions qu'il a tirées après avoir fait un examen complet de cette preuve étaient manifestement déraisonnables au point de constituer un exercice abusif de sa compétence. En fait, il est rare qu'un employeur admettra avoir négocié de mauvaise foi et nous devrions hésiter à modifier une conclusion de fait tirée par un groupe de personnes qui, comme c'est le cas en l'espèce, étaient bien au courant de l'évolution des négociations entre les parties.
((1994), 167 N.R. 234, à la p. 237.)
C. La norme de contrôle de la compétence du Conseil en matière de réparation
162 Si, en formulant la réparation, le Conseil a exercé les pouvoirs dont il est investi, il a droit, étant donné notamment la clause privative catégorique de l'art. 22 du Code canadien du travail, à ce que les cours de justice fassent preuve de retenue à l'égard de l'exercice de ses attributions et sa décision ne peut être modifiée que si elle est manifestement déraisonnable.
164 Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour qu'elle n'a pas à déférer à l'interprétation que le tribunal administratif donne d'une disposition attributive de compétence de sa loi habilitante. Le tribunal administratif doit ne pas avoir commis d'erreur pour que son interprétation d'une disposition attributive de compétence soit confirmée: U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048. Dans cet arrêt, à la p. 1086, notre Cour dit que si la question dont le tribunal administratif est saisi «porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire». (Je souligne.)
Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise . . .
À l'autre extrémité de la gamme, où la norme de la décision correcte requiert le moins de retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l'interprétation d'une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l'exercice de la compétence) . . .
167 Notre Cour a dit de façon constante qu'il fallait prendre garde de ne pas qualifier trop facilement une disposition législative d'attributive de compétence: voir l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à la p. 233. Comme il est souligné dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, à la p. 181:
. . . dans le cas d'un tribunal aussi spécialisé que le Conseil canadien des relations du travail, dont le bon fonctionnement requiert un règlement rapide et final des différends, les cours de justice devraient hésiter à qualifier une disposition d'attributive de compétence, à moins que cette qualification ne s'impose clairement . . .
169 Pour décider s'il avait compétence pour rendre l'ordonnance en cause dans le présent pourvoi, le Conseil s'est appuyé sur le par. 99(2) du Code, qui est ainsi libellé:
99. . . .
(2) Afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence et obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.
170 De toute évidence, le par. 99(2) est une disposition attributive de compétence. Il est la seule source du pouvoir du Conseil d'imposer des réparations autres que la simple ordonnance enjoignant à une partie de se conformer à la loi, qui est prévue au par. 99(1). Le paragraphe 99(2) autorise le Conseil à rendre les ordonnances qu'il estime «juste» de rendre pour remédier aux effets des violations du Code. Il lui confère la compétence pour rendre des ordonnances que, normalement, il ne serait pas habilité à rendre. Il s'ensuit qu'il s'agit d'une disposition attributive de compétence.
Il n'en reste pas moins qu'un remède ordonné en vertu de l'art. 189 [maintenant le par. 99(2)] doit en être un autorisé par cet article.
175 Cette conclusion est corroborée par l'application de l'«analyse pragmatique et fonctionnelle» préconisée dans l'arrêt Bibeault. L'objet de la loi et la raison d'être de ce tribunal sont deux des facteurs clefs dont la cour chargée du contrôle en vertu du critère de l'arrêt Bibeault doit tenir compte pour déterminer si une disposition est attributive de compétence. Par conséquent, une disposition qui limite les réparations à la réalisation des objectifs de la loi est attributive de compétence quant à l'interprétation de ces objectifs. Le paragraphe 99(2) restreint expressément les réparations à celles qui permettent «d'assurer la réalisation des objectifs» du Code.
D. La réparation relevait-elle de la compétence du Conseil?
(2) La durée de la convention collective était fixée à trois ans à compter de la date de ratification. L'ordonnance prévoyait aussi l'arbitrage exécutoire à l'égard des futures conventions collectives «en tant que solution de rechange à la grève ou au lock-out».
(3) Les employés congédiés, y compris ceux qui avaient été congédiés pour leur participation à des activités illégales dans le cadre de la grève, avaient le droit de soumettre leur cas à l'examen des médiateurs, «dont la décision sera[it] exécutoire».
187 En toute déférence, je crois que l'interprétation que le Conseil a donnée au par. 99(2) est erronée. J'arrive à cette conclusion après avoir examiné le libellé du par. 99(2), l'objet du Code, l'application du critère de l'arrêt Banque Nationale et l'arrêt de notre Cour Commission scolaire de Digby, précité.
99. . . .
(2) Afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu'il est juste de rendre en l'occurrence et obligeant l'employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.
(1)il doit y avoir au moins un lien rationnel entre la violation du Code, un effet qui est néfaste à la réalisation des objectifs du Code, et une réparation.
(2)la réparation doit assurer la réalisation des objectifs du Code.
190 La première limitation a été étudiée par notre Cour dans l'arrêt Banque Nationale, précité.
191 Dans cette affaire, le Conseil avait rendu une ordonnance obligeant la Banque Nationale du Canada à verser 48 000 $ par année au syndicat. La Cour a décidé que la disposition en cause ne conférait pas la compétence d'obliger l'employeur à constituer un fonds destiné à promouvoir les objectifs du Code, parce qu'il n'y avait pas de rapport suffisant entre la constitution du fonds et la décision de la Banque de fermer une succursale syndiquée et de la fusionner avec une succursale non syndiquée.
193 La réparation imposée par le Conseil dans l'arrêt Banque Nationale ne satisfaisait pas à la norme minimale du «lien» avec la violation du Code et avec les conséquences de cette violation. Le présent pourvoi soulève la question de la nature du lien qui doit exister entre la violation, les conséquences et la réparation. Il porte aussi sur la prescription de la loi selon laquelle les conséquences auxquelles le Conseil cherche à remédier doivent être «néfastes à la réalisation [des] objectifs» du Code.
194 La seconde limitation découle aussi du libellé du par. 99(2). Aux termes de celui-ci, toute ordonnance rendue par le Conseil doit être «de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation» des objectifs du Code. En conséquence, une condition préalable de tout exercice par le Conseil de son pouvoir en matière de réparation est que la réparation vise à réaliser les objectifs du Code. À mon avis, l'ordonnance du Conseil ne remplit aucune des deux conditions susmentionnées.
195 Les objectifs du Code canadien du travail sont clairement énoncés dans le préambule de la partie I, qui dispose:
Attendu:
qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;
. . .
que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu'il estime que l'établissement de bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès . . . [Je souligne.]
196 Il ressort de toute évidence de ces dispositions que l'objet fondamental du Code est le règlement positif des différends grâce «aux libres négociations collectives» entre les parties. Certes, d'autres objectifs importants, tels que le «bien-être de tous» et de «bonnes relations du travail» sont aussi énumérés dans le préambule, mais ils ne doivent être réalisés que par l'encouragement de la pratique de négociations collectives libres.
Un des objectifs fondamentaux de la Partie V du Code est d'encourager «la pratique des libres négociations collectives» comme un des «fondement[s] des relations industrielles fructueuses permettant d'établir [de bonne conditions] de travail [et de saines relations entre travailleurs et employeurs]» (Préambule). Il est évident qu'une telle intrusion du Conseil dans les négociations collectives va à l'encontre de cet objectif. Un tel geste équivaudrait manifestement à l'arbitrage obligatoire dans un conflit d'intérêts, ce qui constituerait une méthode de règlement des différends qu'aucune disposition du Code n'autorise. [En italique dans l'original; je souligne.]
202 Le juge Cory dit ce qui suit, aux pp. 213 et 214:
[TRADUCTION] L'article 14 de la Loi impose au syndicat et à la compagnie l'obligation de
14. . . . négocier de bonne foi et de s'efforcer, dans la mesure du possible, de conclure une convention collective.
De toute évidence, l'obligation de négocier de bonne foi est impérieuse, mais il n'y a aucune obligation de conclure une convention. Il est certain que la Commission ne peut pas imposer aux parties une convention collective et qu'elle ne doit pas normalement imposer aux parties une condition d'une convention collective. [Je souligne.]
206 Dans le présent pourvoi, comme c'était le cas dans le pourvoi Commission scolaire de Digby, le résultat est lié à l'interprétation d'une disposition de la loi. Cette affaire portait sur les art. 33 et 34 de la Trade Union Act de la Nouvelle-Écosse. L'article 33 de cette loi était presque identique aux dispositions de l'art. 50 du Code applicable dans la présente instance. Il obligeait les parties à négocier de bonne foi et à faire tout effort pour conclure une convention collective. Le paragraphe 34(2) conférait au Conseil le pouvoir d'accorder une réparation en cas de violation de l'art. 33.
207 Le paragraphe 34(2) est analogue au par. 99(2) qui s'applique dans le présent pourvoi:
[TRADUCTION] 34. . . .
(2) . . . le Conseil doit faire enquête et il peut rejeter la plainte ou rendre une ordonnance enjoignant à toute partie aux négociations collectives de faire ce qui, de l'avis du Conseil, est nécessaire pour se conformer à l'article 33 . . .
Le point commun entre la décision de la Commission des relations de travail de l'Ontario dans l'affaire Tandy et celle du Conseil des relations du travail de la Nouvelle-Écosse en l'espèce est que, dans les deux cas, on a conclu que l'employeur n'a pas négocié de bonne foi en vue de conclure une convention collective. Bien qu'il en résulte dans chaque cas une infraction à la loi pertinente, cela ne donne pas le pouvoir de prescrire une convention collective. Dans l'affaire Tandy, la Cour divisionnaire de l'Ontario a examiné une ordonnance de la commission ontarienne qui obligeait l'employeur à abandonner l'attitude qu'il avait adoptée dans les négociations relatives à la clause de retenue des cotisations syndicales. La cour a maintenu cette ordonnance parce que la Commission avait conclu précisément que l'attitude de l'employeur visait à provoquer la chute du syndicat et constituait un élément de mauvaise foi important dans son comportement au cours des négociations. En l'espèce, le Conseil de la Nouvelle-Écosse ne s'est pas borné à ordonner à l'employeur de cesser d'imposer sa position sur une condition précise. Son ordonnance enjoignait à l'employeur de proposer des conditions dont le contenu était prescrit par le Conseil lui-même.
Dans l'affaire Tandy, la cour a dit clairement que la loi n'accordait pas le pouvoir d'imposer ou de prescrire les conditions d'une convention collective. C'est le cas en l'espèce. [Je souligne.]
J'accepte le principe général que le Conseil ne peut en vertu du par. 34(2) imposer aux parties une convention collective. Le Conseil n'est pas habilité à procéder à l'arbitrage de divergences d'intérêts. Le Conseil ne peut ordonner à une partie de faire une offre simplement parce qu'il estime que cela constituerait un règlement équitable du différend. L'alinéa 33a) n'impose pas l'obligation de conclure une convention collective; a fortiori, il n'impose pas l'obligation de conclure une convention collective à ce qu'on pourrait objectivement considérer comme des conditions équitables.
Cela ne signifie pas cependant que le Conseil ne peut imposer des conditions qui se rapportent de façon précise au contenu des propositions. Dès que l'on suppose, comme j'ai dit qu'il faut le faire, que le contenu des propositions peut servir de fondement à la conclusion qu'il y a eu violation de l'obligation de négocier de bonne foi, il doit s'ensuivre que le redressement peut se rapporter au contenu des propositions afin de «se conformer» à l'al. 33a). [Je souligne.]
L'un des effets des violations par les parties de l'article 50 a été d'empêcher qu'une convention collective soit conclue alors qu'elle aurait pu l'être et qu'elle l'aurait été à notre avis, n'eût été de ces violations. En l'espèce, cet effet nuit à la réalisation des objectifs du Code.
218 Le paragraphe 99(2) exige que les effets que le Conseil cherche à remédier soient néfastes à la réalisation des objectifs du Code.
219 Le Conseil a décidé que la non-conclusion d'une convention collective était néfaste à la réalisation des objectifs du Code. Avec égards, cette conclusion est erronée.
220 Les objectifs du Code sont l'encouragement de la pratique de négociations collectives libres et du règlement positif des différends par les parties grâce au processus des négociations collectives. Il a souvent été dit que les obligations que le Code fait aux parties sont de négocier de bonne foi et de «faire tout effort raisonnable».
221 Les parties ne sont pas tenues de conclure une convention. Il est parfaitement compatible avec les objectifs du Code que les parties négocient jusqu'à l'impasse, pourvu qu'elles satisfassent à leur obligation de négocier de bonne foi. Comme on le dit dans l'affaire Tandy (à la p. 214):
[TRADUCTION] De toute évidence, l'obligation de négocier de bonne foi est impérieuse, mais il n'y a aucune obligation de conclure une convention.
En temps normal, le Conseil ordonnerait à l'employeur de soumettre à la ratification du syndicat une offre semblable à sa «dernière offre», amputée de ses exigences inadéquates ou illégales. Dans le cas qui nous occupe, le cours des négociations ne permet de déterminer de façon satisfaisante aucune dernière offre complète; toutefois, il est clair à nos yeux que les recommandations formulées par la commission d'enquête sur les relations du travail devraient répondre, pour l'essentiel à tout le moins, aux exigences raisonnables des deux parties.
232 La médiation et l'arbitrage exécutoires sont peut-être des mécanismes efficaces de règlement des différends, mais il revient aux parties de les choisir comme solution de rechange aux négociations collectives libres. Le Conseil n'a pas compétence pour imposer l'arbitrage exécutoire aux parties quand elles ont choisi de régler leurs différends par les négociations collectives libres. À cet égard, non seulement l'ordonnance du Conseil n'a pas le lien requis avec la violation du Code, mais elle va à l'encontre des objectifs du Code.
233 Le juge Cory serait d'avis qu'une fois qu'une partie a violé l'obligation de négocier de bonne foi que prescrit l'art. 50, le Conseil a le droit de la priver de son droit à la libre négociation. En toute déférence, on ne trouve dans le Code aucun appui à ce point de vue.
234 Quand, au cours de libres négociations collectives, une partie a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, le Conseil a le devoir de faire en sorte que cette partie exécute son obligation et non de la priver de la possibilité de continuer à participer au processus des négociations. Ce principe découle du par. 99(2) qui exige que la réparation imposée favorise la réalisation des objectifs du Code, dont le plus important est l'encouragement de la pratique de négociations collectives libres.
238 Aux termes du Code, le Conseil ne peut imposer les conditions d'une convention collective que dans une seule situation. L'article 80 permet au Conseil d'imposer une première convention collective dans certaines circonstances:
80. (1) Si l'avis de négociation collective visé à l'article 48 se rapporte à la première convention collective à conclure entre les parties quant à l'unité de négociation pour laquelle l'agent négociateur a été accrédité et que les conditions énoncées aux alinéas 89(1)a) à d) ont été remplies, le ministre peut, s'il le juge utile, ordonner au Conseil de faire enquête sur le différend et, si celui-ci l'estime indiqué, de fixer les modalités de la première convention collective entre les parties.
241 Une ordonnance obligeant l'employeur à déposer dans un certain délai une convention collective qu'il était disposé à respecter et à abandonner sa position déraisonnable au sujet des employés congédiés (ou même imposant une condition précise, destinée à régler ce seul point) aurait comporté le «lien» nécessaire pour satisfaire au critère de l'arrêt Banque Nationale. En outre, elle aurait été conforme à l'objectif fondamental du Code canadien du travail, qui est de permettre aux deux parties de procéder à des négociations collectives.
V. Dispositif
244 Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler la décision du Conseil.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges SOPINKA, MCLACHLIN et MAJOR dissidents.
Procureurs de l'appelante: Ladner, Downs, Vancouver.
Procureurs de l'intimée l'Association canadienne des travailleurs de fonderie et ouvriers assimilés, section locale no 4: McGrady, Askew & Fiorillo, Vancouver.
Procureurs de l'intimé le Conseil canadien des relations du travail: Gowling, Strathy & Henderson, Toronto.
La version officielle de ces décisions se trouve dans le Recueil des arrêts
de la Cour suprême du Canada (R.C.S.). Ce site est préparé et diffusé par
LexUM en partenariat avec la Cour suprême du Canada.